Google, les livres et les bibliothèques : l’avis de Robert Darnton

Comme dans le cadre du cours j’ai à présenter quelque chose sur le livre électronique, je pensais vous présenter quelques éléments de réflexions que j’ai lus mais que je ne traiterais pas en classe. J’ai notamment fait la lecture du livre Apologie du livre. Demain, aujourd’hui, hier de Robert Darnton (Gallimard, 2011 [2009]). Les réflexions les plus intéressantes du livre sont, je crois, celles en lien avec Google, le livre électronique et la place des bibliothèques.

Quelques mots d’abord sur Robert Darnton. Premièrement, vous le connaissez déjà un peu. En effet, il est l’auteur de « La bibliothèque universelle, de Voltaire à Google» que nous avons lu la première semaine. Historien au parcours impressionnant, il est spécialiste de l’histoire du livre et directeur de la bibliothèque de Harvard depuis 2007. Ses réflexions sur le livre électronique en sont d’autant plus pertinentes.

Voyant la bibliothèque comme une citadelle du savoir et Internet comme un espace ouvert, les accords de Google avec 5 grandes bibliothèques en 2006 amènent plusieurs questionnements. Bien sûr, malgré les questions litigieuses des droits d’auteur, cela annonçait une démocratisation sans précédent du savoir. Enthousiaste de Google, Darnton n’en est pas moins inquiet de ses tendances monopolistiques. Il est le premier à voir dans le projet une grande utilité pour des recherches, par exemple: la numérisation des correspondances des grands auteurs des Lumières. M. Gingras nous en a d’ailleurs démontré quelques aspects. Par contre pour Darnton, contrairement à ce que l’on pourrit croire, Google Book  rendra les bibliothèques plus importantes que jamais. Pour bien le comprendre, il faut d’abord se rappeler que, historien du livre, il a à cœur la conservation des ; voici tout de même résumé ses arguments:

– Même si Google numérise 90% des livres, il en restera toujours un nombre important, les chercheurs ne peuvent donc compter exclusivement sur Google. Plusieurs livres existent d’ailleurs en quelques exemplaires seulement et sont disséminés dans les bibliothèques.

– Les fonds de 5 bibliothèques (même les plus importantes et même s’il y en a plusieurs autres depuis) sont loin de suffire, notamment à cause des livres rares, souvent importants pour les historiens.

-Les droits d’auteur risquent de continuer de poser problème. Il vaudrait mieux de fournir adéquatement nos bibliothèques que compter sur Google pour suivre la publication de plus en plus nombreuse tout en numérisant le passé.

– L’entreprise Google, quoiqu’on en pense,  peut disparaître et sa technologie être dépassée. Les bibliothèques sont là pour rester.

– Inévitablement, Google fera des erreurs dans sa numérisation, nécessitant la conservation des livres.

– La numérisation de Google ne résistera pas nécessairement au temps. Le livre a de ce côté fait ses preuves.

– Google envisage de numériser plusieurs versions du même ouvrage, mais auxquels aura-t-on accès?  « Google emploie des milliers d’informaticiens mais, pour autant que je sache, aucun bibliographe. » (page 105)

– Finalement, l’aspect physique du livre  n’est pas au rendez-vous. Ce qui peut être d’une grande importance pour les historiens. Et bien sûr, l’amoureux des livres n’y retrouve pas une partie de son expérience, du moins pour l’instant.

Darnton y va d’autres réflexions, mais ces 8 huit points donnent une bonne idée de sa pensée, bien qu’elle soit autrement plus étoffée. Déclarant ouvertement que son amour du livre lui donne peut-être un œil plus critique que nécessaire sur l’impact de Google Books, il reste tout de même très impressionné devant les avantages des nouvelle technologies.

« Certes nous devons numériser, mais surtout démocratiser en assurant un libre accès à notre héritage culturel. Comment? En réécrivant les règles du jeu, en subordonnant les intérêts privés au bien public et en nous inspirant des premiers républicains pour instaurer une République numérique du savoir. » (page 120)

Ah oui, j’oubliais: la lecture du livre est très agréable, je vous le recommande entre deux lourdes lectures académiques!

DARNTON, Robert, Apologie du livre. Demain, aujourd’hui, hier, Paris, Gallimard, 2001 [2009], p.71-142